PRIX NOBEL ALTERNATIF DE LITTÉRATURE Le Président de la Région Guadeloupe heureux de cette consécration de Maryse Condé, au Prix Nobel alternatif de littérature 2018

L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé a reçu le prix Nobel alternatif de littérature, décerné ce vendredi 12 octobre 2018 par la Nouvelle Académie. Cette distinction internationale, vient couronner l’oeuvre de l’une des écrivaines majeures de la littérature de la Caraïbe et d’Afrique.


Sculpture du buste de Maryse Condé, marraine de l'exposition Eclats d'île VOL.2, un projet ambitieux de la Région Guadeloupe dont l’objectif est de faire rayonner les œuvres de nos artistes locaux à l’international. Une œuvre signée @Marcos Marin.

Nous félicitons chaleureusement l’écrivaine engagée, à l’oeuvre foisonnante, grâce à qui la voix de la Guadeloupe est aujourd’hui entendue dans le monde. Maryse Condé est la marraine d’Éclats D’îles, le cycle d’exposition de l’art contemporain à Paris, organisé par la Région Guadeloupe et dont le second volume se tient en ce moment (jusqu’au 23 octobre) à la galerie 24 Beaubourg.

 Elle nous a fait l’honneur de ce texte « Somnambules du soleil » que nous sommes heureux de repartager avec vous.
Le Président de Région Ary Chalus et l’ensemble des élus saluent l’oeuvre de cette écrivaine Guadeloupéenne exceptionnelle et la félicitent pour cette distinction et son oeuvre.

Somnambules du Soleil, par Maryse Condé, Marraine d’Éclats d’îles, avril 2018

« Quand je grandissais, la Guadeloupe ne possédait pas encore de musées. J’étais bien forcée de me rabattre sur les seules beautés de la Nature. Tout m’était bon : les randonnées avec mes parents, les promenades que je faisais seule sur ma bicyclette ‘Pigeon Volant’. Je ne savais pas ce que je préférais : la lourde écharpe bleue de la nuit s’abattant du ciel et noyant les contours des êtres et des choses, les abords feuillus du volcan, son cratère dénudé et béant, les eaux
fuligineuses des Bains Jaunes. J’aimais par-dessus tout la mer, verte ou bleue, empanachée d’écume, se jetant comme une femme folle sur les rochers et les cayes, ou bien douce comme une image, venant lécher le sable d’or des plages.

Comme mes journées étaient absorbées par une série d’occupations fastidieuses : aller à l’école, apprendre ses leçons, rédiger des devoirs ou s’initier au piano chez Monsieur Démon où je répétais éternellement les mêmes gammes, je me réservais pour le soir, quand la nuit était tombée. Alors les portes de ma chambre s’envolaient et de somptueuses vignettes venaient m’assaillir dans mon sommeil. Grâce à ce subterfuge, je réalisais très tôt que le rêve sied à la beauté. Il lui confère sa magie et décuple son pouvoir de séduction.

À la fin de la guerre, après 1945, mes parents retrouvèrent leurs séjours en France et m’emmenèrent avec eux. Je passe sur la terrible désillusion que me causa Paris, ville froide, ville triste où seuls les tickets de rationnement mettaient du goût dans les aliments. Chaque matin je me rendais transie de froid jusqu’à mon lycée-prison. Un jour dans les activités scolaires le professeur de français nous emmena à la Sainte Chapelle qui s’élevait au coeur de l’île de la Cité et avait été bâtie sous le règne de Saint-Louis, nous expliqua-t-il. Je n’avais rien prévu de tel et stupéfiée, considérais la splendeur des vitraux or ou bleu qui me cernaient. Cela suffit à déclencher en moi une fringale qui perdura pendant des années et me conduisit en Italie, en Espagne ou au Pays Bas.

Durant les années que je passais en Afrique je découvris une notion capitale : l’art n’est pas unique. Il n’est pas univoque. Selon la société à laquelle il appartient, l’artiste crée une beauté qui parait singulière, parfois même choque et déplaÎt. C’est ainsi que pendant longtemps seuls furent reconnus les trésors de l’Occident. Heureusement il n’en est plus de même à présent et un musée comme celui du Quai Branly est là pour en témoigner. Un enfant qui grandit aujourd’hui en Guadeloupe fait sans doute l’économie du long parcours qui a été le mien.

S’il sait d’emblée que sa terre est belle, il n’ignore pas non plus qu’elle possède des créateurs et que ceux-ci déversent la magie à pleines mains. Il sait que certains sont autodidactes, que d’autres ont étudié à l’étranger mais qu’ils se retrouvent dans la même recherche de beauté. À cause d’eux il se pose des questions : l’art est-il tributaire d’un engagement politique ? Il sait que certains de ces peintres, à la suite de leurs idées et du choix de leur mode de vie, ont été stigmatisés et il se demande si ces options se traduisent dans leurs tableaux. Existe-t-il un art engagé ? Il n’ignore pas non plus que certains de ces artistes ont choisi de représenter la vie traditionnelle. Est-ce que cela signifie qu’ils font fi de la modernité et peuvent être qualifiés de vieillots ? Quelle part de rêve entre-t-elle dans toutes les compositions ?  Quant à moi, je me pose une question : Comment nommer tous les peintres issus de la terre de Guadeloupe ? Forment-ils une école originale?

Toutes ces interrogations, auxquelles il est parfois difficile de trouver une réponse, aident à grandir la jeunesse guadeloupéenne, parée pour l’avenir. La Région Guadeloupe présente aujourd’hui six peintres : Joël Nankin, Anaïs Verspan, Ronald Cyrille, Alain Josephine, Nicolas Nabajoth, So Aguessy Raboteur. Qu’il soit permis de donner à ces oeuvres, chacune si différente et marquée du sceau de leur personnalité et de leur choix individuel, cependant unie par une commune exigence de créativité, le nom de « Somnambules du Soleil ». Par là nous entendons que le soleil, Compère Général Soleil, ainsi que l’appelle l’Haïtien, Jacques-Stephen Alexis, qui les a abreuvés et les a nourris depuis l’enfance donne à leurs créations une force et une magie à la fois erratiques et singulières. C’est lui qui les tient debout, qui les fait cheminer dans les terres broussailleuses de la créativité."